Les poussières d'ivoire

Les poussières d’ivoire

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“Dans la pénombre de la pièce, un piano à queue Erard de 1884 semble égaré au milieu d’un étrange champ de blé sous une lumière lunaire… Fichées sur des tiges métalliques noires, de hautes tiges souples sur lesquelles elles se dressent comme des épis clairs,  mille touches d’ivoire oscillent doucement dès que passe un courant d’air, telles les mille têtes dodelinantes d’une foule silencieuse qui attend et qui écoute. Une voix invisible se met alors à réciter quelques vers du journal de bord du navigateur-poète solitaire pour tenter de réveiller une à une les notes oubliées. Et voilà que le pianiste Lilian Guiran entre sans bruit dans le cercle de lumière, s’installe lentement devant le clavier, le caresse en l’effleurant à peine, puis commence à égrener quelques notes rêveuses avant de les faire se répondre et s’entrelacer. Le rythme est lent, songeur, troué de silences recueillis. Minimaliste, répétitive et méditative, la musique s’insinue entre les touches verticales. « La beauté naît du dialogue, de la rupture du silence et du regain de ce silence » écrivait en 1948 dans son recueil Fureur et Mystère le poète René Char dont l’ombre habite toujours sa maison. Grâce à l’écran géant du mur du fond, chaque visiteur peut vivre la performance (presque) en direct et grandeur nature. A nouveau le trompe-l’œil agrandit l’espace bien au-delà de ses dimensions réelles et multiplie d’autant la profusion de ces énigmatiques graminées.”
Françoise Jaunin, extrait du catalogue Les mers rêvent encore.


Installation au centre d’art Campredon, exposition Les mers rêvent encore, juillet > décembre 2020.
Improvisation sur piano Erard 1884 : Lilian Guiran.
Lecture : Tchéky Karyo, chapitre le cimetière de pianos, recueil Les mers rêvent encore. 

Ecouter l’improvisation de Lilian Guiran sur Spotify >>>

Making of de l’installation, depuis les premiers échanges avec l’association Les passeurs de pianos jusqu’à la réalisation de la vidéo dans l’atelier.

“Le poète se ferait-il soudain militant ? Le rêveur activiste ? L’utopiste guérillero ? Sûrement pas. Il est des causes qui lui sont chères, certes, et il entend le faire savoir. Mais pas à la manière d’un combattant, pas plus qu’à celle d’un donneur de leçon. Il ne fonctionne ni à coup de slogans ou d’actions ostentatoires, ni de réquisitoires ou de menaces. Il est l’ascète philosophe qui rêve le monde autrement, mais à partir de ce qui existe déjà. Comme un enfant qui, avec un jeu de construction, invente autre chose qu’indiqué dans le mode d’emploi et en propose un bien meilleur usage. Ou comme un troubadour du temps présent qui, par la bande et en pointillés, nous ouvre le regard et nous aiguise la conscience au monde qui nous entoure.

Les passeurs de pianos est une association de bénévoles qui s’est donné pour mission de récupérer des pianos mis au rebut et de les restaurer pour les donner à des hôpitaux, des écoles, des maisons de retraite… C’est dans ses dépôts et avec son soutien que l’artiste a pu recueillir les touches d’ivoire dont leurs vieux pianos abandonnés étaient encore pourvus. L’ivoire n’est plus utilisé dans la fabrication de pianos depuis les années 1950. Et depuis 1989, la Convention de la Cites interdit son commerce à l’échelle internationale. Mais les réglementations ne sont hélas pas parvenues à éradiquer le juteux braconnage des éléphants dont l’espèce est gravement menacée. Il serait même en pleine recrudescence.

Pourtant autant, l’installation-performance Les poussières d’ivoire n’a rien d’un cimetière des éléphants. Elle tient bien plus d’une ode à la protection des pachydermes en particulier, et à celle de toute espèce vivante en général. Une scénographie poétique, métaphorique et allusive. Une partition visuelle et musicale. A chacun de la lire et l’interpréter à son gré.”

Françoise Jaunin, extrait du catalogue Les mers rêvent encore.